Binôme de Newton - Exposant fractionnaire
Y. Morel
Formule du binôme de Newton
Formule du binôme
Soit



![\[(a+b)^n=a^n+nab^{n-1}+\dfrac{n(n-1)}{2}a^2b^{n-2}+\cdots+na^{n-1}+b^n
\]](IMG/4.png)
ou encore, en utilisant les coefficients


![\[(a+b)^n=\sum_{k=0}^n\binom{n}{k}a^kb^{n-k}\]](IMG/7.png)
Les coefficients binomiaux tirent justement leur nom de leur utilisation ici, la formule du développement de la puissance n-ième du binôme

Coefficient binomiaux
Les coefficients binomiaux sont notés




Ces coefficients sont caractérisés par la relation:
![\[\binom{n}{k-1}+\binom{n}{k}=\binom{n+1}{k}\]](IMG/13.png)
qui permet, entre autre, de les calculer en utilisant le triangle de Pascal:
![\[\rput(2.2,-1.8){+}
\psellipse(2.2,-1.78)(0.65,0.25)
\pscircle(2.6,-2.3){0.2}
\psline{->}(2.9,-1.85)(2.9,-2.25)
\begin{tabular}[t]{|c|*6{p{0.41cm}}|}\hline
\psline(-0.3,0.32)(0.38,-0.18)
\rput(-0.2,0){\small $n$}
\rput(0.2,0.16){\small $k$}
& 0 & 1 & 2 & 3 & 4 & 5 \\\hline
0 & 1 &&&&&\\
1 & 1 & 1 &&&&\\
2 & 1 & 2 & 1 &&&\\
3 & 1 & 3 & 3 & 1 &&\\
4 & 1 & 4 & 6 & 4 & 1 &\\
5 & \multicolumn{6}{c|}{\dots \ \ \ \dots}\\\hline
\end{tabular}\]](IMG/14.png)
Le nombre sur la ligne



Démonstration de la formule du binôme de Newton
La formule du binôme de Newton est très couramment utilisée, et comme très souvent en mathématiques dans ce cas, il existe plusieurs façons de la démontrer. Comme Euler dans sa démonstration du binôme pour des exposants fractionnaires, on démontre ici la formule du binôme




On va donc démontrer la formule du binôme de Newton pour


![\[(1+x)^n=\sum_{k=1}^n\binom{n}{k}x^k\]](IMG/24.png)
On déduit de celle-ci alors la formule plus générale:
![\[\bgar{ll}
(a+b)^n
&\dsp=\lb a\lp1+\dfrac{b}{a}\rp\rb^n\\[1.2em]
&\dsp=a^n\lp1+\dfrac{b}{a}\rp^n\\[1.2em]
&=a^n(1+x)^n
\enar\]](IMG/25.png)
avec

Par dénombrement
On détaille le produit des


![\[\bgar{lcl}
&(1+x)^n
=(1+x)(1+x)\dots(1+x)\\[.6em]
&=a_nx^n+a_{n-1}x^{n-1}+\dots+a_1x+a_0
\enar\]](IMG/29.png)
Chaque monôme


Pour obtenir le terme de degré




De même le terme constant


Le terme de degré 1,




Plus généralement, le monôme de degré








Par récurrence
Comme la formule du binôme de Newton porte, entre autre, sur un entier (la puissance), on peut penser à la démontrer par récurrence.
En effet, aux rangs


![\[\bgar{lcccl}
(1+x)^0&=&1&=&\dsp\binom{0}{0}x^0 \\[1.4em]
(1+x)^1&=&1+x&=&\dsp\binom{1}{0}x^0+\binom{1}{1}x^1\enar\]](IMG/52.png)
Supposons maintenant que la formule soit vraie à un certain rang



![\[(1+x)^{n+1}=(1+x)(1+x)^n\]](IMG/56.png)
et, d'après la relation de récurrence supposée vraie au rang

![\[\bgar{ll}
(1+x)^{n+1}&=(1+x)(1+x)^n \\[1em]
&\dsp=(1+x)\sum_{k=0}^n\binom{n}{k}x^k\\[1.6em]
&\dsp=\sum_{k=0}^n\binom{n}{k}x^k+\sum_{k=0}^n\binom{n}{k}x^{k+1}\\[1.6em]
&\dsp=\sum_{k=0}^n\binom{n}{k}x^k+\sum_{k=1}^{n+1}\binom{n}{k-1}x^k\\[1.7em]
&\dsp=\binom{n}{0}x^0+\sum_{k=1}^n\lp\binom{n}{k}+\binom{n}{k-1}\rp x^k
+\binom{n}{n}x^{n+1}
\enar\]](IMG/58.png)
or, pour tout entier

![\[\binom{n}{k}+\binom{n}{k-1}=\binom{n+1}{k}\]](IMG/60.png)
et donc, comme par ailleurs

![\[\bgar{lcl}
(1+x)^{n+1}&=&\dsp x^0+\sum_{k=1}^n\binom{n+1}{k}x^k+x^{n+1} \\[1em]
&=&\dsp\sum_{k=0}^{n+1}\binom{n+1}{k}x^k
\enar\]](IMG/62.png)
ce qui montre que la formule est encore vraie au rang

Finalement, la formule est vraie initialement au rang 0 (et on a vu au rang 1 d'ailleurs aussi), et est héréditaire donc, d'après le principe de récurrence, elle est vraie pour tout entier naturel

![\[\forall n\in\N,\ (1+x)^n=\sum_{k=1}^n\binom{n}{k}x^k\]](IMG/65.png)
Via une équation différentielle
![\[f(x)=(1+x)^n\]](IMG/66.png)



![\[f'(x)=n(1+x)^{n-1}\]](IMG/70.png)
ou encore


![\[(1+x)y'-ny=0\]](IMG/73.png)
avec la condition initiale

En insérant dans cette équation l'expression polynomiale de

![\[(1+x)\sum_{k=1}^nka_kx^{k-1}-n\sum_{k=0}^na_kx^k=0\]](IMG/76.png)
soit en regroupant et ordonnant les termes
![\[\bgar{ll}
&\phantom{\iff}\dsp
\sum_{k=1}^nka_kx^{k-1}+\sum_{k=1}^nka_kx^{k}-n\sum_{k=0}^na_kx^k=0\\[1.2em]
&\iff\dsp
\sum_{k=0}^{n-1}(k+1)a_{k+1}x^{k}+\sum_{k=1}^nka_kx^k-\sum_{k=0}^nna_kx^k=0\\[1.2em]
&\iff\dsp
(a_1-na_0)x^0+\sum_{k=1}^{n-1}\Bigl((k+1)a_{k+1}+ka_k-na_k\Bigr)x^k
=0
\enar
\]](IMG/77.png)
On doit donc avoir
![\[\bgar{lcl}
&\phantom{\iff}&
\la\bgar{ll}
a_1-na_0=0 \\[.5em]
(k+1)a_{k+1}+(k-n)a_k=0\ , \text{ pour } 1\leqslant k\leqslant n-1
\enar\right.\\[1.8em]
&\iff&
\la\bgar{ll}
a_1=na_0 \\[.5em]
a_{k+1}=\dfrac{n-k}{k+1}a_k\ , \text{ pour } 1\leqslant k\leqslant n-1
\enar\right.
\enar\]](IMG/78.png)
La condition initiale


![\[\la\bgar{lcl}
a_0&=&1\\[.5em]
a_1&=&na_0=n \\[.5em]
a_2&=&\dfrac{n-1}{2}a_1=\dfrac{n(n-1)}{2} \\[1.2em]
a_3&=&\dfrac{n-2}{3}a_2=\dfrac{n(n-1)(n-2)}{2\tm3}\\[.5em]
\dots && \dots\\[.5em]
a_k&=&\dfrac{n(n-1)(n-2)\dots(n-k+1)}{2\tm3\tm4\tm\dots\tm k}\\[1em]
\dots && \dots \\[1em]
a_{n-1}&=&\dfrac{n(n-1)(n-2)\dots(2))}{2\tm3\tm4\tm\dots\tm (n-1)}=n\\[1.4em]
a_n&=&\dfrac{n-(n-1)}{n}a_{n-1}=\dfrac1n\tm n=1
\enar\right.\]](IMG/81.png)
On reconnaît alors l'expression des coefficients binomiaux


![\[f(x)=(1+x)^n=\sum_{k=0}^n \binom{n}{k}x^k\]](IMG/84.png)
Avec la formule de Taylor
La fonction





![\[f(x)=\sum_{k=0}^N \dfrac{f^{(k)}}{k!}x^k + R_N(x)\]](IMG/90.png)
On sait de plus que





![\[f(x)=\sum_{k=0}^n \dfrac{f^{(k)}}{k!}x^k\]](IMG/96.png)
Les coefficients


![\[\bgar{lcl}
f(0)=1 &\Longrightarrow& a_0=\dfrac{f^{(0)}(0)}{0!}=1 \\[1em]
f^{(1)}(x)=f'(x)=n(1+x)^{n-1} &\Longrightarrow& a_1=\dfrac{f^{(1)}(0)}{1!}=n \\[1em]
f^{(2)}(x)=f''(x)=n(n-1)(1+x)^{n-2} &\Longrightarrow& a_2=\dfrac{f^{(2)}(0)}{2!}=\dfrac{n(n-1)}{2}\\[.5em]
\dots && \dots \\[.5em]
\enar\]](IMG/99.png)
et ainsi, pour

![\[f^{(k)}(x)=f''(x)=n(n-1)\dots(n-k+1)(1+x)^{n-k}\]](IMG/101.png)
d'où
![\[a_k=\dfrac{f^{(k)}(0)}{k!}=\dfrac{n(n-1)\dots(n-k+1)}{k!}=\binom{n}{k}\]](IMG/102.png)
et on retrouve donc les coefficients binomiaux.
On remarque aussi que la formule de Taylor est à la base des formules de développement limité pour de nombreuses fonctions, ce que Euler utilise en fait exactement (sans en parler ainsi à son époque bien sûr).
Formule du binôme avec exposant fractionnaire
À la suite de Newton, Euler, dans ses éléments d'algèbre, fin 18ème siècle, donna une démonstration de la formule du binôme dans le cas plus général où est un nombre fractionnaire (rationnel dit-on aujourd'hui) positif ou négatif.La démonstration d'Euler est la suivante, éventuellement juste un peu adaptée avec des notations plus modernes.
Démonstration d'Euler
Tout d'abord Euler fait la remarque que, arrivé jusqu'ici, nous connaissons bien:
![\[\bgar{lcrc}(a+b)^n&=&a^n&\lp 1+\dfrac{b}{a}\rp^n\\[1.2em]&=&a^n&(1+x)^n\enar\]](IMG/103.png)
en posant


Soit




On ne sait donc pas encore si la formule du binôme est valide, mais cela ne nous empêche pas de poser
![\[y=1+nx+\dfrac{n(n-1)}{2}x^2+\cdots\]](IMG/110.png)
Posons de même, pour un autre exposant

![\[y'=1+n'x+\dfrac{n'(n'-1)}{2}x^2+\cdots\]](IMG/112.png)
La multiplication des ces deux égalités s'écrit
![\[yy'=\lp1+nx+\dfrac{n(n-1)}{2}x^2+\cdots\rp
\lp1+n'x+\dfrac{n'(n'-1)}{2}x^2+\cdots\rp
\]](IMG/113.png)
Ce produit de "polynômes" n'est pas simple à développer et ordonner.
Néanmoins, comme lorsque


![\[\bgar{ll}
yy'&=\lp1+nx+\dfrac{n(n-1)}{2}x^2+\cdots\rp
\lp1+n'x+\dfrac{n'(n'-1)}{2}x^2+\cdots\rp\\[1.4em]
&=\lp1+x\rp^n(1+x)^{n'}
=(1+x)^{n+n'} \\[.8em]
&=1+(n+n')x+\dfrac{(n+n')(n+n'-1)}{2}x^2+\cdots
\enar\]](IMG/116.png)
et Euler donc de conclure que l'égalité entre polynômes
![\[\bgar{ll}&\lp1+nx+\dfrac{n(n-1)}{2}x^2+\cdots\rp
\lp1+n'x+\dfrac{n'(n'-1)}{2}x^2+\cdots\rp\\[1em]
&\hspace*{6em}=1+(n+n')x+\dfrac{(n+n')(n+n'-1)}{2}x^2+\cdots
\enar\]](IMG/117.png)
est donc nécessairement vraie, que les coefficients, de ces polynômes, soient entiers ou non (d'après la règle ordinaire de multiplication des polynômes, (…) la forme du produit ne dépend aucunement des valeurs particulières des lettres qui entrent dans les deux facteurs de la multiplication. Par conséquent, le produit doit avoir la même forme que dans le cas où


On obtient ainsi,
![\[yy'=1+(n+n')x+\dfrac{(n+n')(n+n'-1)}{2}x^2+\cdots\]](IMG/120.png)
On peut poursuivre en multipliant autant de tels polynômes que souhaité:

soit, en posant


Enfin, l'idée est quand même de se ramener à des exposants entiers, pour lesquels on sait la formule du binôme vraie.
On choisit




et alors

avec

Or justement



soit, comme


![\[y=(1+x)^{p/q}=(1+x)^n=1+nx+\dfrac{n(n-1)}{2}x^2+\cdots\]](IMG/135.png)
Le cas des exposants négatifs se traîte alors aussi ainsi. En reprenant,
![\[y=1+nx+\dfrac{n(n-1)}{2}x^2+\cdots\]](IMG/136.png)
et
![\[y'=1+n'x+\dfrac{n'(n'-1)}{2}x^2+\cdots\]](IMG/137.png)
avec

![\[yy'=1+(n+n')x+\dfrac{(n+n')(n+n'-1)}{2}x^2+\cdots
=1\]](IMG/139.png)
car dans tous les termes



![\[y'=\dfrac{1}{y}=\dfrac{1}{(1+x)^n}=(1+x)^{-n}=(1+x)^{n'}
=1+n'x+\dfrac{n'(n'-1)}{2}x^2+\cdots
\]](IMG/143.png)
avec

Application à l'extraction de racines par approximation
Les "polynômes infinis" utilisés ici, en fait séries entières en termes modernes, nécessiteraient clairement des précisions quant à leur existence, c'est-à-dire leur convergence.
Euler (et les autres à son époque) utilisaient ces développements surtout pour calculer des valeurs approchées (avec une très grande précision !) de racines. Ces développements étaient donc plutôt utilisés comme des développements limités.
Par exemple,
Appproximation de racine carrée
![\[\sqrt{15}=\sqrt{16-1}
=\sqrt{16\lp1-\dfrac{1}{16}\rp}
=4\lp1-\dfrac{1}{16}\rp^{1/2}
\]](IMG/145.png)
et ainsi, au premier ordre,
![\[\sqrt{15}\simeq 4\lp1-\dfrac12\tm\dfrac{1}{16}\rp
=4-\dfrac18=3,875\]](IMG/146.png)
Au deuxième ordre,
![\[\sqrt{15}
\simeq 4\lp1-\dfrac12\tm\dfrac{1}{16}-\dfrac18\lp\dfrac{1}{16}\rp^2\rp
=4-\dfrac18-\dfrac{1}{8^3}
\simeq3,8730\]](IMG/147.png)
Avec une calculatrice moderne, on trouve



Racine cubique
À l'époque les racines cubiques étaient aussi très courues, dans les calculs de mécanique céleste pricipalement où la troisième loi de Kepler établit la proportionnalité entre le carré de la période


![\[T^2=kR^3\]](IMG/153.png)
L'observation astronomique permet de mesurer les périodes de révolution; pour obtenir le rayon, il faut alors extraire une racine cubique...
Cette formule fait même apparaître clairement des puissances fractionnaires: puissance


L'idée d'utiliser la formule du binôme de Newton avec des puissances fractionnaires vient peut être justement de là...
De même que la racine carrée précédente, pour une racine cubique,
![\[\sqrt[3]{65}=(64+1)^{1/3}=64^{1/3}\lp1+\dfrac{1}{64}\rp^{1/3}
=4\lp 1+\dfrac13\tm\dfrac{1}{64}
-\dfrac19\lp\dfrac{1}{64}\rp^2+\cdots \rp
\]](IMG/156.png)
ainsi, au premier ordre,
![\[\sqrt[3]{65}\simeq 4+\dfrac{1}{48}\simeq 4,2083\]](IMG/157.png)
et au seconde odre,
![\[\sqrt[3]{65}\simeq 4+\dfrac{1}{48}-\dfrac{1}{9216}\]](IMG/158.png)
À l'aide d'une calculatrice moderne
![$\sqrt[3]{65}\simeq4,0208$](IMG/159.png)


L'utilisation faite ici est celle, avec la terminologie actuelle, de développement limité, pour laquelle la convergence des polynômes utilisés dans les développements n'intervient pas, et qui sont valides au moins dans la mesure où

On peut noter aussi que Euler, à son époque, en bon numéricien, s'était attaché aussi à l'estimation de l'erreur commise en utilisant de telles approximations.
Il remarque entre autre, que pour extraire des racines n-ièmes, donc en utilisant des exposants fractionnaires inférieurs à 1, la suite des termes dans le développement du binôme est alternée: deux termes consécutifs sont de signes opposés. Euler étudie et majore alors l'erreur commise en tronquant les développements: c'est ce que l'on connaît maintenant lorsqu'on étudie les séries alternées…